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Interview avec Paul Arnephy - MOF Torréfacteur 2018

En 2018, Paul Arnephy recevait le titre de Meilleur Ouvrier de France - Torréfacteur, qui met à l’honneur l’excellence et le savoir-faire. Il fait partie de la première promotion à concourir dans la catégorie torréfaction, signe de la reconnaissance nouvelle accordée à ce métier. Deux ans plus tard, le co-fondateur de Lomi revient sur ce week-end, sa préparation, et son métier au quotidien. 

Qu'est-ce que ça représente pour toi, le titre de Meilleur Ouvrier de France ?

Pour moi, ça représente le savoir-faire et l'artisanat en France. Quand je suis arrivé en France il y a plus de dix ans, j'ai vite entendu parler de ce titre et j'ai été captivé par cette culture, cette recherche de l'excellence. Et surtout de faire en sorte que ce savoir-faire ne meure pas. Le titre de MOF est vraiment axé sur la transmission. Le but, ce n’est pas d'avoir le titre et de rien en faire, mais de transmettre. C'est la recherche de l'excellence, une transmission de savoir-faire.

Et toi, c'est quelqu'un qui t'a transmis ce savoir-faire ?

J'ai commencé à torréfier il y a 13 ou 14 ans en Australie. Mais en fait il y a une raison pour laquelle le titre de MOF torréfacteur vient d'être ajouté : le vrai savoir-faire technique du café est tout nouveau. Quand j'ai commencé à 14 ans, c'était entièrement mécanique : tu mettais le café vert, tu appuyais sur un bouton, au bout de 14 minutes tu ouvrais la porte et c’était fini. Il y avait aucun échange entre les torréfacteurs, chacun gardait ses secrets. Il y avait très peu de livres, peu de formations. Ces dernières années, il y a beaucoup plus d'échanges, surtout dans le café de spécialité, autour de techniques de torréfaction, la qualité de l'extraction, de l'équipement. Ça s'est beaucoup amélioré depuis. Par exemple, ça fait que 12 ans qu'on a créé des machines à café capables d'avoir des températures d'eau stables, alors que c’est très important pour extraire le café. Et encore, c'était un bricolage fait par un ingénieur... ça montre à quel point cette culture du café de spécialité est jeune. 

Mais je ne dis pas qu'avant ce n’était pas bon, vraiment pas. Le café, c'est subjectif, et c’est culturel. On a eu des développements plus précis ces dernières années. On a plus de moyens d'être constants dans nos créations. Avant, c'était comme si un chef n'avait pas de moyen de connaître la température de son four ! Maintenant, il y a un vrai côté de recherche de qualité grâce à la technique.

Comment devient-on MOF ? Comment tu t'y es préparé ?

Le but de ce concours est de juger les gens selon la rigueur qu'ils appliquent au quotidien. J'essaye de faire de mon mieux à chaque fois, j'essaye d'être précis. Je ne prends jamais un café torréfié pour acquis. S'il faut mettre 14,1g, tu mets 14,1. Tu passes ton temps à déguster, à comprendre, à lire, à goûter, rechercher... et tu appliques tout ça au quotidien. Il faut aussi te mettre dans des situations où tu n'es pas forcément à l'aise : dans des salons, des concours, pour apprendre petit à petit. 

Pour être MOF, il faut être précis, il faut être très impliqué, avoir de l'expérience, avoir la volonté de faire de la qualité et d'avancer dans le métier. C’est chercher la représentation parfaite d’un produit, tout cela en ayant en tête le client final, et ses envies. Il faut être capable de l’écouter, le conseiller, de produire quelque chose qu'il a envie d'acheter.

Tu peux nous raconter un petit peu le déroulé des épreuves ?

C'était sur un week-end complet, du samedi matin au dimanche soir. 

Il y a une mise en situation. On te met dans une boutique imaginaire de torréfaction et un client entre, avec une question à laquelle il faut répondre. C'est le type d'interaction qu'un torréfacteur peut avoir au quotidien. Là il faut un peu de profondeur, dans le savoir-faire mais aussi dans la connaissance du marché, des différents équipements. J'ai eu une machine assez peu connue par exemple, et je devais savoir comment elle fonctionnait.

J’ai eu une épreuve écrite sur la culture et l'histoire du café, une vingtaine de questions.

Ensuite il y avait une épreuve de calcul (de TVA, de coût de revient, du prix au kilo du café vert…)

Il y a aussi une épreuve de dégustation à l'aveugle (phase du cupping). Il faut trouver le café qui était différent parmi 10 tasses similaires.

Il y a une épreuve d'identification de café vert. Il faut dire de quel café il s’agit, quel type de grain, quel traitement...

Et bien entendu, une épreuve de torréfaction. Il fallait créer un assemblage à partir de 5 ou 6 cafés verts choisis. Avant de torréfier, il fallait déjà remplir une fiche de dégustation pour anticiper son goût à partir de la provenance. Après, il fallait présenter ce café torréfié aux juges. Il fallait goûter avec eux et que le goût final corresponde au goût anticipé.

Une autre épreuve consistait à répliquer un café moulu qu'on nous présentait à partir de café vert.

Enfin, on a dû présenter une maquette d’ouverture d'une boutique de torréfaction. Beaucoup de gens se sont concentrés sur la réalisation finale de la maquette, ses matériaux, mais le but était vraiment de présenter la maquette comme si c'était l'ouverture d'une entreprise. Le jury te pose plein de questions sur des choses qui ne sont pas tangibles : le prix du café, le marché que tu vises, etc. Pour cette épreuve, j'ai passé des mois à créer un business plan avec une charte graphique.

Comment tu te sentais ce jour-là ?

J'ai adoré le week-end ! J'étais vraiment à l'aise. Bien sûr, il y a beaucoup de pression. Quand tu as une seule torréfaction pour reproduire un café à l'identique, que tu n'as jamais travaillé avant, sur une machine que tu n'as jamais utilisée, t'as de la pression. Mais si tu gardes en tête que c'est du café, que tu ne vas pas mourir si tu rates, ça va mieux. Ça faisait déjà 10 ans que j'appliquais les gestes du concours au quotidien. Je ne me suis pas beaucoup entraîné pour le titre, en réalité. J'ai passé plus de temps avec la maquette et le business plan. Et pendant le week-end, j'ai passé la plupart du temps avec les autres torréfacteurs, à déguster du café. C'est du travail mais aussi du plaisir !

C'est un beau souvenir alors ! Et quel(s) bénéfice(s) cela apporte-t-il à Lomi, le fait que tu sois MOF torréfacteur ?

En réalité, pas grand chose dans l'immédiat ! Dans le sens où Lomi a toujours été tourné vers le service client, depuis sa création. Le but a toujours été d'être un torréfacteur pour le client final, pas pour nous. On a toujours fait en sorte d'offrir la meilleure expérience client, le meilleur café... c'est pas comme si on n’en avait rien eu à faire pendant 10 ans et que d'un coup, avec le titre, on a commencé à s'en soucier. Vraiment pas. 

Et je pense aussi que quand tu as obtenu le titre, la meilleure chose que tu puisses faire, une fois que tu es allé à l'Elysée et que tu as rencontré le Président de la République, ce qui est sympa, c'est d'oublier au plus vite ce titre. Il faut éviter de se dire qu'on a atteint le sommet du Mont Everest et qu'on en reste là. Je pense pas que c’est une bonne manière de travailler. Je n’essaie pas d'oublier, bien sûr, mais pour moi le titre est plutôt une manière d'avancer et de continuer à progresser. J'essaie d'appliquer cette manière de travailler chez Lomi, de la diffuser, et de toujours avoir le client final en tête.

Quelle est la prochaine étape pour toi ?

J’aimerais beaucoup faire des formations sur le traitement du café. J'ai visité des plantations mais maintenant il existe des formations très complètes et structurées. L’idée c’est d’être vraiment focalisé sur le sourcing du café vert. Je pense qu’il est temps qu’on se structure encore plus de ce côté-là.

Comment tu vois l'évolution du café de spécialité sur les 5 - 10 prochaines années ?

Je vois arriver une évolution vers l'accessibilité du café de spécialité pour le grand public. Il faudrait que quand les gens le boivent, ils doivent tout de suite savoir que c'est du bon café. Pas besoin de les convaincre avec un texte ou une explication complexe. Que les gens ne puissent pas s'arrêter à une tasse. Je pense que le café de spécialité doit aller dans ce sens. Ça fait 20 ans que le concept existe, et pourtant le prix du café de commodité n'a jamais été aussi bas. Du coup, ce n’est pas que rien ne change, mais ça doit encore inspirer les gens qui boivent du café. Il faut qu'ils goûtent le café de spécialité et qu'ils ne puissent pas revenir en arrière. Il faut que ça les touche au quotidien. Pour ça, il faut continuer à améliorer la qualité du café vert, de l'extraction, de la torréfaction, que tout soit mieux fait pour que ça devienne comme un gâteau au chocolat auquel tu ne peux pas résister.

Tu as pour ambition de démocratiser le café de spécialité ?

Oui ! Je pense que c'est vraiment important. J'ai fait trop de dégustations dans ma vie où les gens goûtent un café de spécialité et disent "qu'est ce que c'est ? C'est pas bon". Les gens dans le monde du café de spécialité pensent que c'est incroyable. 

Mais en même temps on ne doit pas viser de plaire à tout le monde, parce que c'est impossible. Il faut juste que ça soit plus accessible et meilleur en goût.

Comment la France se situe-t-elle par rapport à l’Australie, où la culture du café est très développée ?

Les deux cultures du café n'ont rien à voir. Aucun n'est meilleur que l'autre. En Australie, on a une culture du café plus stable. Beaucoup de gens là-bas boivent du café avec du lait, ici quasiment personne ne met du lait. Le café de spécialité s'est construit sur le dos des vaches, grâce au lait. Et après, petit à petit, les gens ont commencé à boire des espressos et du café filtre. Mais ici, c'est l'inverse. Personne ne boit du lait, du coup t'es directement confronté à la réalité du café noir avec de l'eau. En Australie, ça ne fait que 5 ou 6 ans que les gens vendent du café filtre dans des coffee shops. Il y a encore deux ans, ça restait un combat de faire boire aux gens du café filtre. En France, il y a 8 ans, le café de spécialité a commencé avec du café filtre. Cela dit, si t'aimes bien le café de spécialité, l'Australie c'est le paradis ! Il y a beaucoup de torréfacteurs et de coffee shops hyper pointus, qui bossent super bien avec des cafés incroyables. Mais pour le grand public, c'est le lait qui gagne, alors qu'ici c'est le café noir.

Ça t’arrive de mettre du lait dans ton café ?

Oui, j'adore les cappuccinos ! J’en bois de temps en temps. Je vois ça comme un gâteau. Si je veux boire un très bon café, je ne vais pas prendre de cappuccino, mais si je veux manger une part de gâteau, je vais prendre un cappucino avec. C'est super bon !

C'est quoi pour toi le café parfait ?

Ah, ça n'existe pas... Et c'est ça qui est aussi frustrant qu'excitant quand on travaille le café, c'est que tu sais qu'il peut toujours être amélioré. Une petite variable et il est déjà différent. Tu peux jamais être pleinement satisfait, surtout en tant que torréfacteur ou barista. Je pense que ce qui fait le café parfait, c'est le moment. C'est le mélange du café et du contexte, exactement comme la musique. Un jour t'écoutes une chanson et aucune autre ne correspond mieux à ton humeur, puis une semaine plus tard ça change, parce que tu n’es pas dans le même esprit. Le café, c'est pareil. Donc, le café parfait n'existe pas mais il y a des moments parfaits et les cafés qui vont avec.

Découvrez le style de torréfaction de Lomi et l'approche de Paul.

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